La petite nonne à mobilette
Je lʼai croisée trois jours de suite, en me rendant au studio, la petite nonne à mobilette, le nez en proue tous voiles dehors. La triple répétition du signe, telle la trahison de Saint-Pierre au chant du coq, mʼenjoignait de poursuivre les travaux en cours, une forme chorégraphique qui creuserait les stigmates de la petite religion de lʼenfance, catéchisme, bondieuseries et élans mystiques confondus.
Résultat : violences et emportements, pulsions obstinées de guitare basse, cris, effondrements, prières minuscules, signes, se signer, superstitions, se signer par trois fois, lʼoeil de dieu est partout, et son oreille alors, inutile de murmurer, on peut blasphémer rien
quʼen pensée.
Alors, pour se protéger, le corps se divise, il appelle une terre qui le rende à sa réalité, à son poids, et un ciel qui lui soulève le coeur: les pieds martèlent mais le buste se renverse dans de lascives extases.
Thérèse de Lisieux était lʼinspiratrice de tout ça, petite sainte normande débordante dʼhumilité, et folle de rejoindre au plus tôt, ce fut à vingt-trois ans, son fiancé céleste. La photo de Thérèse est toujours posée sur ma table de maquillage, quel que soit le spectacle à jouer, et ça fait vingt-trois ans que ça dure, que par trois fois je plonge dans son regard de papier, pour me donner du courage et de lʼintensité, vingt-trois ans que je ferme les yeux pour laisser faire la rémanence oculaire : voir son image qui se dresse, en négatif, et lʼabsorber.
Juste Ciel fut très vite lʼoccasion de tournées exotiques, qui nous apprirent quʼà travers les différences de culture, le corps parle encore, quʼil met en branle les tréfonds communs, que ses gigues sont de partout quand elles sont nourries des pulsions intimes. Que lʼon peut leur faire confiance, à ces énergies et ces formes, pourvu quʼon se soit donné la peine de les épurer. Et que si le sens apparent nʼest pas le même pour tous, nous partageons les mêmes failles, les mêmes petits délires intérieurs.
Nicole Mossoux, Etudes Théâtrales 49 • 2010