Autour de Simonetta Vespucci
A l'origine du spectacle: le désir d'entreprendre une traversée fantasmatique des images du seizième siècle et, en les confrontant aux nôtres, d'interroger la représentation de soi. Quels liens, quelles dissemblances entre l'art de ces deux époques?
L'essor du portrait date de la Renaissance: où en sommes-nous aujourd'hui avec notre image? Que dit-elle de particulier?
Son absolue médiatisation nous agace-t-elle? Voyons-nous encore quelque chose? N'aurions-nous pas à lutter quelquefois contre un sentiment d'exaspération d'être vu, d'être là, d'être présent, de devoir donner son image?
Au fil des répétitions et de l'écriture du spectacle, c'est ce sentiment qui s'est imposé comme couleur dominante, et son traitement sur les modes de la stupeur, de la curiosité ironique, du sarcasme contenu.
Le seizième nous a fascinés, c'est vrai. Et les peintres maniéristes qui l'ont incarné nous semblent avoir posé des questions qui vibrent à présent d'un écho singulier.
Tout d'abord, cette situation paradoxale: apparaître juste après le passage simultané de trois artistes (Michel-Ange, Raphaël, Léonard) qui ont porté la peinture à son sommet. Que faire après eux? Que faire après les génies?
Bronzino, Pontormo, Rosso Fiorentino, Le Parmesan, Beccafumi, Titien, Le Primatice... ont répondu de façon très diverse et personnelle, mais en travaillant chacun un aspect de la distorsion, de la déformation, de la sophistication subversive: cet allongement insensible des formes, ces trop longs cous, ces regards faux dans des visages justes, ces couleurs irréelles, ces espaces contradictoires, ces perspectives truquées...
Le monde est étrange, ils en dépeignent l'énigme et l'extravagance.
Peut-être sommes-nous pris aujourd'hui dans un nouvel avatar du maniérisme, une explosion multiple de styles qui n'en finissent pas de revenir, comme la vague s'enfuit de la plage, sur les obsessions que le siècle a traversées avec, en leur centre, la mise en cause du réel et l'expérience de la complexité.
Simonetta aujourd'hui sourit du fond de sa courte éternité: elle croisa l'existence comme une ombre radieuse qui illumina Botticelli et consuma Piero di Cosimo. Elle vit à Chantilly, son portrait est tourné vers le parc, le tableau est en bon état.
Patrick Bonté • 1998