© Julien Lambert
© Mikha Wajnrych
Cie Mossoux-Bonté

Presse

Nicole Mossoux et Patrick Bonté aiment à ausculter l’être social que nous sommes, à partir des clivages intérieurs et de nos gestes (in)volontaires. Dans Histoire de l’imposture ils ajoutent un regard sur les codes vestimentaires. Et comme nous le savons : Si l’habit ne fait pas le moine, c’est qu’il fait le citoyen! Quelle que soit l’époque, seule la nudité est neutre, apparemment. Aussi, tout commence ici sous le signe la blancheur cutanée. Mais l’état d’innocence est vite perdu, il faut bien se laver tous mes matins!
L’éviction du paradis (des rêves) se joue ici sur un nuage de glace, où les flashs crépitent telles des explosions. On s’habille, et petit à petit, des costumes XVIe siècle remplacent les habits de ville modernes. Le flash-back vestimentaire accompli, la valse peut commencer, avec ses gestes de séduction et ses faux sourires. Une grotesque hésitation par-ci, une discordance monstrueuse par-là, les cinq autoportraits révèlent, sous des obus lumineux, ce qui les sépare de leur apparence.

Comme jadis à la cour, comme aujourd’hui dans la rue, au travail et au bal, évidemment, on joue. A l’instar de cette vérité des chairs qui se cache sous l’accoutrement, on porte tout un attirail de gestes en guise de parure, pour se mettre en lumière. Et souvent, on surjoue, en se conformant à un répertoire gestuel stéréotypé, jusqu’à en perdre sa crédibilité. C’est ce que Sébastien Jacobs, Leslie Mannès, Frauke Mariën, Maxence Rey et Marco Torrice donnent à voir dans ce studio photo un brin glacé, car c’est le lieu par excellence où les poses et postures sont toujours surexposées, jamais naturelles. Le jeu des interprètes inclut une fine portion d’ironie, à la fois fixateur et révélateur des nuances support/surface d’une identité.

Mais pourquoi ces costumes historisants ? Le jeu avec une identité abusive est de tous temps. En regardant une gravure ou un tableau de l’époque élisabéthaine, nous n’avons aucun mal à imaginer le refoulé derrière le geste "officiel".  Et si leurs personnages se mettaient à danser, inspirés de rythmes actuels ? Leurs postures en deviendraient-elles impostures ? Ou, inversement, notre imposture effacerait-elle  celles qui sont représentées sur les toiles ?
Voilà qui nous renvoie aux jeux vidéo et aux animations interactives, où désormais toutes les usurpations deviennent possibles. Aussi, le duo bruxellois croise costumes anciens et rituels de rave ou techno d’aujourd’hui, tendance transe, un peu comme, dans un autre registre, Trajal Harrell essaye d’imaginer, par la chorégraphie, ce qui serait arrivé si les danseurs de la Judson Church avaient rencontré le Voguing.

Alors que  Nicole Mossoux et Patrick Bonté mènent depuis bientôt trente ans des recherches sur la relation complexe entre le corps, la conscience et l’inconscient, on a rarement vu les interprètes de la compagnie "danser" autant qu’ici. L’énergie physique déployée à la fin rappelle celle qui se libère dans des danses tribales. Le seul état sans imposture ?

Thomas Hahn, Danser Canal Historique / Février 2014

 

Le triomphe des apparences

 (…) « Repeat after me ». Simulations, faux-semblants, illusions, les codes vestimentaires suggèrent une époque trahie par les anachronismes. Hypocrisie, rires sous cape, moqueries. « Be yourself ». Tentatives de séduction, des couples se forment, s’assignent un rôle, se séparent. L’apparat transpire dans les bijoux clinquants de pacotille et dans les gants satinés brodés. Tout semble charme, luxe et volupté...

Les modèles sont en représentation, prisonniers du rôle qu’on leur assigne, hésitant sans cesse entre le paraître et l’être. L’harmonie se lézarde, l’un tente de capter toute la lumière, l’autre cherche dans le regard du public la preuve de sa propre existence. Toute velléité de se distinguer, de se détacher de la masse, de s’affranchir du mouvement est anéantie par imitation, correction ou uniformisation. Sous la pression sociale, le mouton noir rentre dans le rang, sacrifie sa personnalité pour se conformer. Puis la rythmique s’emballe et libère les corps des tensions qui les déchirent. Ils exultent, plongent dans l’ensauvagement d’une sarabande jouissive, et libératoire.

Catwalk, flash, postures, Histoire de l’imposture évoque clairement un shooting photo et, par là, le monde de la publicité et des magazines de mode, symboles d’une société du faux-semblant, voire du mensonge. Le jeu des interprètes (…), la mise en scène, la lumière et la musique, signée Thomas Turine, confèrent à cette pièce une puissance et une élégance et en font une référence qui a traversé les années sans la moindre altération.

Didier Béclard, Demandez le programme / Mai 2021